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Sans titre

novembre 17, 2011

Bon.

C’est cliché et tellement banal. C’est une phrase qu’on entend très souvent dans la bouche des uns et des autres. « Il faut profiter des gens tant qu’ils sont là » .

Ce matin, je suis dans un état étrange de culpabilité, de raison, de joie, de rationnel, d’émotion et de résignation.

Mon grand-père paternel est décédé il y a 8 ans. J’en avais 17. J’avais déjà perdu des membres de ma famille. Mais c’était avant, j’étais plus jeune et ça ne m’avait pas forcément beaucoup touché. Pour mon grand-père, j’ai cru que c’était la même chose. Mais non. Déjà, voir ma grand-mère en larme, complètement désemparée m’avait profondément touché. Le monde autour d’elle s’était effondré. Tous ses repères, ses habitudes, sa vie en somme, était partie le temps d’une toute petite crise cardiaque. Ils étaient allés se coucher pour la sieste, après le repas. A un moment donné, elle l’a entendu pousser un soupir très profond, en gémissant un peu. Elle ne s’est même pas rendu compte que c’était le dernier. Et nous étions là, quelques heures plus tard autour d’elle.

Ce jour là, il a fallut lui tenir très fort la main. Rester avec elle qui embrassait le corps de mon grand-père, allongé sur le lit. Ce corps qui ressemblait à mon pépé, mais qui n’était pas tout à fait lui. Ce n’est pas explicable, mais si vous avez déja vécu des moments comme ça, vous voyez sans doute ce que je veux dire.

J’ai craqué le jour de l’enterrement. J’étais assez posé et distant par rapport à ce qui se passait, matrise, contrôle. Et puis au moment de jeter la terre sur le cercueil, tous mes souvenirs et l’amour que je portais mon grand-père a jailli du trou dans la terre et j’ai tout pris dans la figure. Je n’ai pu m’arrêter de pleurer que vingt minutes plus tard.

Ce jour là, jai enterré mon grand-père. Et j’ai aussi perdu ma grand-mère.

Elle ne s’est jamais remise du décès de son mari. Jamais. Pendant quelques semaines après, elle est restée chez elle, nous allions la voir régulièrement. Elle était triste. Mais elle faisait avec. Sauf qu’en réalité, elle ne faisait pas du tout avec. On l’a retrouvé un jour avec une lettre près d’elle qui s’excusait parce qu’elle allait rejoindre son mari. Elle avait tenté de s’ouvrir les veines. Mais ça n’a pas marché.

Elle a donc été placée en maison de retraite et traitée pour sa dépression. A partir de ce jour, je n’ai plus revu ma grand-mère. D’abord au sens figuré, puis au sens propre. Les premières années, je suis régulièrement allé la voir. Ma grand-mère n’était plus là. Son corps oui, mais elle non. Elle s’est retranchée en elle, pour fuir la vie qui était trop dur sans lui. Et elle attendait la mort, tout simplement. Elle parlait parfois de lui au présent, demandant pleine dangoisse où il était. Puis quand elle se rappelait qu’il n’était plus là, elle repartait en elle. Elle disait à peine bonjour, à peine au revoir. Elle semblait complètement indifférente à notre présence. C’était de plus en plus dur d’aller la voir. Et puis j’ai été lâche et nul. Face elle j’ai préféré me sauvegarder moi plutôt que de continuer à aller la voir, parce que la voir souffrir, c’était souffrir moi aussi.

J’ai honte d’écrire ça aujourdhui mais ça doit faire environ 4 ans que je n’ai pas revu ma grand-mère. Je sais que mon frère avait cessé d’aller la voir avant moi. Une de mes cousines a continué un moment après moi, mais je sais qu’elle a fini par arrêter aussi. Il n’y a que mon père et ma tante (sa soeur) qui ont continué à aller la voir. De temps en temps, je demandais mon père comment elle allait. « Comme d’habitude. Elle ne parle pas beaucoup. Elle reste assise sur son lit. » . Avec ma tante c’était pire, il arrivait qu’elle ne prenne même pas la peine de lui dire bonjour . Aucune haine entre les deux pourtant. Simplement, ma grand-mére avait disparu.

Depuis environ trois semaines, je ne sais pas pourquoi, je pense de plus en plus souvent à elle. Je culpabilise beaucoup de ne pas aller la voir. 4 ans. C’est long. Et je sais qu’elle n’est pas éternelle. Mais pourtant, je sais que ce n’est plus elle. Ou est-ce que je me dis ça pour me rassurer ? Pour ne pas culpabiliser ? Le fait est que quand j’irais la voir, je ne sais même pas si elle me reconnaitrait (la faute à qui à ton avis ?). Et je sais surtout que je lui poserai des questions auxquelles elle ne répondrait pas et qu’un silence horrible s’installerait. J’ai presque plus envie d’y aller pour mon père que pour elle ou pour moi. Parce que je me dis que ça doit être dur pour lui, de voir qu’aucun de ses fils ne va plus voir sa mère. La semaine passée, j’ai même fini par lui dire que j’avais envie d’aller la voir, que ça faisait trop longtemps. Il m’a dit « tu sais, elle n’est pas très en forme, elle est comme d’habitude, elle ne parle pas, c’est pas très drôle . » Mais il ne m’a pas dit de ne pas y aller.

J’ai donc enfin prévu d’y aller. Avant la fin de l’année. Peut-être pour Noël.

Mon téléphone a vibré dans ma poche ce matin. Mon père avait la voix étranglée, au bout du fil. C’est trop tard pour aller voir ma grand-mère. Elle est décédée cette nuit.

J’ai beaucoup de peine pour mon papa. Je m’en veux aussi terriblement de ne pas être retourné la voir. Et pourtant je me dis que l’avais déjà perdu. Mais là encore, est-ce que je me dis ça pour avoir la conscience tranquille ou était-ce vraiment le cas ?

Je suis triste parce qu’une partie de moi se sent petit morveux égoïste qui n’a même pas pris un après-midi en 4 ans pour passer voir sa grand-mère. Mais c’est un peu tard pour dire ça, non ? Au lieu de me lamenter maintenant, j’aurais mieux fait de me bouger le cul avant.

Et puis je repense au jour de sa « première mort » . Je repense à ses mots qu’elle avait écrit, « excusez-moi, je pars rejoindre mon mari » , la tristesse et l’abandon qu’elle ressentait. Et c’est peut-être la seule chose qui me réconforte aujourdhui. Elle a cessé d’être triste. Et peut-être même, s’il y a un après, qu’elle l’a vraiment rejoint son mari.